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Faut-il croire aux miracles ?

Philippe NIEDERLENDER, médiéviste.

D’après l’étude historique des miracles de saint Vincent Ferrier (1350-1419. Canonisé en 1455)


L’historien a sans doute autre chose à dire sur les miracles que les médecins, les scientifiques, les psychologues et parapsychologues… L’historien n’étudie pas les miracles mais des mentions de miracles, des textes. L’historien en effet s’intéresse à l’existence des hommes mais ne peut pas se prononcer sur l’existence de Dieu. Le miracle appartient à un genre littéraire dont il convient de montrer la fonction.  Le miracle n’est pas spécifiquement chrétien mais il s’intègre au Moyen-Age dans la théologie catholique. L’approche du miracle s’inscrit logiquement dans l’étude de la sainteté. Les mentions de miracles sont variées et occupent une place centrale dans le procès de canonisation. Le miracle retourne les situations, manifeste l’intervention divine, témoigne d’une relecture des événements, d’une actualisation du message biblique…


La cour romaine a authentiqué 873 miracles qui, dans les enquêtes du procès de canonisation, sont présentés comme les signes les plus éclatants de la sainteté de Vincent Ferrier. Ses hagiographes lui en attribuent encore davantage, mais les commissaires pontificaux délégués dès 1451 en Avignon, à Toulouse, à Naples et surtout à Vannes, estimant le nombre des témoignages plus que suffisant, mirent fin aux enquêtes… Les miracles, à la fin du Moyen Age, sont non seulement plus nombreux, mais encore plus extraordinaires et plus variés que jamais. Fages a décompté au moins 28 résurrections de morts opérées par Maître Vincent. Les mentions de miracles, dans les légendes comme dans le procès de canonisation, relèvent d'une construction théologique. Pour les enquêteurs du procès de canonisation la première question n’est pas celle de la possibilité du miracle mais de savoir de quoi témoigne celui qui rapporte un miracle. Les miracles viennent-ils de Dieu ou ramènent-ils à Dieu ? Le Diable peut aussi faire des prodiges trompeurs…


Vincent Ferrier est identifié aux modèles des saints qui le précèdent et au Christ, qui est le modèle par excellence. Le récit de miracle devient « vrai » par comparaison avec des images et récits plus anciens, comme la légende dorée. Les hommes de ce temps ne s'interrogent pas vraiment sur la possibilité du miracle, mais cherchent la signification des événements. Car tous se livrent au « discernement des signes des temps ». Pour le croyant de la fin du Moyen-Age la multiplication des miracles signifie que Dieu est toujours à l’œuvre dans le monde et dans la vie quotidienne de chacun, malgré le schisme (1379-1417), la peste (1348…), la guerre de Cent Ans et les calamités. Legat « a latere Christi » Vincent Ferrier n’est plus l’envoyé d’un pape douteux, l’anti-pape Benoît XIII, mais du Christ lui-même. Vincent Ferrier devient grand prédicateur populaire itinérant « pour étouffer le schisme par l’adhésion des masses » (H. Géon). Si la réforme ne vient pas de la tête, elle pourrait se réaliser dans les membres du corps ecclésial. Le dominicain prêche la pénitence et veut restaurer la vie religieuse et le sacerdoce. Partout on parle de réforme et d’observance. Le miracle est un argument pour la réforme des mœurs et pour l’unité de l’Eglise.


Pour beaucoup, les conversions miraculeuses en masse de juifs, opérés entre autres par Vincent Ferrier, sont un signe évident de la fin du monde. Le dominicain connaît l’hébreu et dispute avec les rabbins, notamment lors des conférences de Tortose convoquée par Benoit XIII en 1414. Soucieux de conversion sincère, jamais il n’encourage ni ne justifie la violence. Vincent Ferrier est présenté partout comme un « pacificateur » et un grand convertisseur, aussi exigeant avec les juifs et musulmans d’Espagne que les hérétiques comme les « vaudois », « catharins » ou « purs » et les pécheurs.


Le miracle médiéval est une relecture de la Résurrection du Christ. Il garantit la victoire du bien sur le mal. Le miracle de « protection » manifeste les merveilles que Dieu fait pour son peuple. Les miracles « religieux » et « moraux » inscrivent la prédication de Maître Vincent dans la tradition prophétique. Les récits et symboles des miracles nourrissent et structurent la foi des fidèles du Moyen-Age. Le miracle était destiné à faire croire plus qu’à être crus. Les témoignages sont autant de professions de foi. Le miracle perd progressivement sa valeur de « signe » à la fin du Moyen Age. Il est de plus en plus présenté et étudié comme un « fait » et devient l'objet d'expertises de plus en plus poussées entre le XVe siècle et nos jours. On peut dire schématiquement qu'il n'est plus regardé comme un signe et qu'il devient l'objet en soi de la croyance.


L'image du miracle évolue avec la représentation que l'on se fait de la sainteté. On constate un glissement vers les miracles moraux ; autrement dit, l'héroïcité des vertus, qui correspond à une plus grande exigence d'intériorité et d'élévation spirituelle. Dans le procès de canonisation, Vincent Ferrier est perçu de son vivant comme un convertisseur, mais il rentre dans le rang en mourant, retrouvant la fonction traditionnelle de guérisseur. Cela révèle une résistance des milieux populaires aux exigences nouvelles de l'Église en matière de sainteté. Un bon siècle avant la Réformation Vincent Ferrier, dans son traité du schisme moderne (1380) et son traité de la vie spirituelle (entre 1405 et 1407) préfère déjà l’appui des Ecritures aux miracles. Il dénonce la recherche de prodiges ou de grâces extraordinaires.


L'imposition des mains, le signe de la croix et la prière constituent les moyens d'action thaumaturgiques privilégiés du saint in vita. Après sa mort, le tombeau et les reliques assurent le contact avec le saint, mais, de plus en plus, le voeu et la demande se font à distance. Cela témoigne d'une plus grande intériorité chez les fidèles convaincus de l'efficacité de la prière personnelle. Un don de soi véritable doit accompagner le voeu et l'exvoto, sinon le fidèle encourt la colère du saint et son châtiment. Les dépositions du procès de canonisation montrent une confusion entre miracle, sacramentaux et sacrements. Sacrements et miracles relèvent pareillement de l’efficacité symbolique c’est à dire une parole qui agit, on pourrait dire : un geste qui sauve. Par la grande prédication populaire, les clercs contrôlent et encadrent le merveilleux et le miraculeux en cette fin du Moyen-Age.


Les mentions de miracles appartiennent à une littérature fonctionnelle qui relève de l’histoire des mentalités. Le miracle est une construction théologique et une profession de foi. Le miracle n’ est pas rejeté par la pensée moderne qui s’affirme et est intégré par l’Eglise dans la définition même de la sainteté. Les clercs préfèrent de plus en plus l’héroïcité des vertus et les « miracles moraux » aux miracles sur la nature. Les miracles chez saint Vincent Ferrier correspondent clairement à un désir d’imitation de Jésus-Christ, à la quête d’un salut devenu difficile et se confond enfin pour des fidèles peu instruits avec la pratique des sacrements.

Communauté de Paroisses Catholiques Saint Joseph - Saint Benoît - Saint Jean Bosco

KOENIGSHOFFEN - HAUTEPIERRE - HOHBERG - POTERIES

©2021 par Ela MVOLO pour la Communauté de Paroisses Catholiques Saint Joseph-Saint Benoit-Saint Jean Bosco de Strasbourg.

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